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> LA PREHISTOIRE
Des statuettes d'argile (haniwa) trouvées dans des tombes
du Ve et du VIe siècle de notre ère nous offrent
des représentations de joueurs de cithare, de flûte
sphérique et de tambour à caisse cylindrique.
Mais les souvenirs du passé autochtone s'évaluent
à l'aune des transformations infligées à
l'héritage chinois.
L'Antiquité
Entre le Ve et le VIIIe siècle, des envoyés et
des musiciens invités, souvent des moines, rapportent
de Corée puis de Chine théorie musicale et instruments,
auxquels ils ajoutent même les mélodies. L'époque
Asuka voit l'introduction du bouddhisme, de l'écriture,
des danses rituelles avec masques (gigaku), si bien que tout
naturellement le chant et les danses liturgiques ont formé
la partie la plus ancienne du répertoire. Les règles
de la récitation scandée des textes sacrés,
bombai ou shomyo, avaient pour but, selon une conception profondément
indienne, de garantir la prononciation exacte des paroles, car
au sanskrit se combinent le chinois classique prononcé
à la japonaise et la langue japonaise. Reprenant la théorie
chinoise en vigueur sous les Tang et les Sui, le shomyo n'en
invente pas moins sa notation propre, système graphique
fort précis des hauteurs et des ornements. Parallèlement,
les temples recueillent sous le nom de "danse et musique"
(bugaku) les apports multiples non seulement des danses de cour
des différents royaumes des provinces de Corée
et de Chine, mais également de régions aussi lointaines
que le Champa, en Asie du Sud-Est, Koutcha, en Asie centrale,
et de l'Inde. Des écoles de musique furent alors formées
dans les temples mêmes et un bureau impérial fut
constitué. Les danses solennelles du bugaku sont encore
exécutées, aujourd.hui, au son des immenses tambours
(da-daiko) et des vents.
Le gagaku, la plus prestigieuse des musiques, n'est d.abord
rien d'autre que la réduction instrumentale des multiples
traditions de danses du bugaku. On mesurera le chemin parcouru
en rappelant que, simple divertissement à l'origine,
le gagaku devint la musique même de la cour impériale,
palliant ainsi l'absence des musiques des cérémonies
confucéennes, jamais importées. Sa vivacité
et son rythme alerte se métamorphosèrent, sans
doute à partir du XIIe siècle, en un hiératisme
sans équivalent dans le monde. La lenteur est telle que
les rapides ornements du hautbois (hichiriki) deviennent la
mélodie principale, tandis que les notes de la mélodie,
jouées par l'orgue à bouche (sho), deviennent
de lents accords flottants dans un temps en suspens. À
ces instruments s'ajoutent la cithare (so), le luth (biwa),
la flûte traversière (ryuteki ou koma-bue), ainsi
que les tambours, les claquettes et les gongs.
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LA PERIODE MEDIEVALE
Le haut Moyen Âge se divise en deux périodes,
qui portent le nom des capitales respectives: les époques
Kamakura et Muromachi. Deux nouveaux genres véritablement
nationaux virent alors le jour: le heike-biwa, et le nô.
Le biwa, venu d'Asie centrale et adopté en Chine, est
le luth piriforme à manche court, joué avec
un plectre. Parvenu dans l'archipel en même temps que
le gagaku, il est devenu le plus japonais des instruments,
puisque son développement l'associe intimement à
l'émergence d'une littérature nationale, celle
du Genji monogatari et de l'épopée des Heike.
Le heike-biwa est encore chanté aujourd.hui d'une voix
rauque par une femme s'accompagnant elle-même de l'instrument.
Celui-ci est tour à tour mélodique, rythmique
ou imitatif du bruit des batailles, des chevaux, des chutes
ou des éléments.
Le
théâtre chanté nô, au-delà
de ses références au bouddhisme zen, aurait
été inventé - selon la tradition - par
le génial acteur et écrivain Zeami Motokiyo
(1363-1443) et son père Kanami (1333-1384). Mais cette
attribution, pour exacte qu'elle soit, ne doit pas masquer
ses origines profondes: le théâtre d'exorcisme,
encore pratiqué dans certaines régions de Chine,
où il a pour nom précisément nuo. Monument
strictement structuré combinant au plus haut point
texte, costume, espace, geste, voix et instruments, le nô,
une des grandes formes d'opéra du monde, se contente
d'un accompagnement musical réduit mais hautement fonctionnel:
flûte (nokan), tambour d'épaule (ko-tsuzumi),
tambour de hanche (o-tsuzumi), tambour à battes (taiko),
chur, tandis que la voix déploie toutes les variations
des chants doux et hauts, de la déclamation et du récitatif.
Alors que la musique du haut
Moyen Âge était sous la tutelle des prêtres
bouddhistes, c'est au sein de la bourgeoisie marchande
que, dans la seconde partie de la période médiévale,
se sont développés le shakuhachi, le koto et
le shamisen.
Le shakuhachi est une flûte verticale en bambou
qui présente la caractéristique rare de posséder
un répertoire en solo ancien, semblable en cela à
la cithare (qin) des lettrés chinois. La comparaison
ne s'arrête pas là, puisqu'elles ont en commun
également l'intimité du son, la fluidité
rythmique, la complexité des ornements, une écriture
propre, ainsi qu'un rapport particulier au silence, qui les
rapprochent d'un instrument de méditation. Développé
au XVIe siècle dans le cadre du bouddhisme zen et apanage
alors des moines itinérants, le shakuhachi, devenu
le symbole honni d'une culture prétendument arriérée,
ne survécut à l'ère Meiji qu'en se sécularisant
et en s'intégrant à des ensembles instrumentaux.
> LA PERIODE MODERNE
Le
koto, instrument privilégié des jeunes filles
de bonne famille, est une sorte de cithare à treize cordes
et chevalets mobiles; sa gracilité représente
le pendant musical du Japon des cerisiers en fleur et des cérémonies
du thé. Il se développe à la même
époque que le shakuhachi, comme en témoigne un
important recueil pour "soies et bambou" de 1664;
son répertoire et sa technique ont été
profondément renouvelés depuis, et tout particulièrement
à travers les compositions du maître Miyagi Michio,
mort en 1957.
Le shamisen, luth à trois cordes et touche lisse, fut
le dernier instrument importé du continent au XVIe siècle.
Nombre de traits musicaux témoignent encore aujourd.hui
de sa place particulière d'intermédiaire entre
la Chine et le Japon. Reprenant la tradition d'accompagner au
biwa les épopées chantées, le shamisen,
grâce à la puissance et à la flexibilité
de ses sonorités, devint l'instrument préféré
des conteurs et des mendiants aveugles. Tout en se différenciant
dans des styles locaux aussi originaux que celui de Tsugaru,
véritable "blues" japonais, il trouva la plénitude
de son emploi dans le gidayu, musique du bunraku, théâtre
de marionnettes portées par trois manipulateurs, où
le conteur, seul, incarne vocalement tous les personnages.
Le
théâtre kabuki, unissant splendeur des costumes,
des maquillages et virtuosité des danses, est la fusion
de multiples éléments qui empruntent tant à
l'art des saltimbanques, au théâtre nô qu'au
chant nagauta accompagné au shamisen. Il émerge
dans l'environnement très profane du divertissement urbain.
Un nombre élevé de musiciens, de percussions et
de shamisen se trouvent sur la scène, tandis qu'un autre
ensemble, des coulisses, varie les atmosphères et les
effets, accompagnant avec une formidable efficacité des
acteurs entraînés au contrôle physique le
plus rigoureux et le plus spectaculaire. Il est le dernier-né
des genres musicaux avant l'apparition récente du très
narcissique karaoke, où l'amateur joue en play-back des
vidéos musicales présonorisées.
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