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L'enseignement du nihon-ga - la deux dimension japonaise
Takashi Murakami rève
d'abord de devenir réalisateur de dessins animés.
Mais c'est finalement à un cours de peinture traditionnelle
- nihon-ga - qu'il s'inscrit en 1986. Inventée en 1890
pendant l'ère Meiji, la peinture nihon-ga visait à
créer un style national, situé à la croisée
entre la tradition picturale japonaise de l'époque
Edo (1615-1868) et les références occidentales.
Murakami soutient que la création d'un espace autonome,
sans la structure de la représentation réaliste,
est la racine de l'esthétique en deux dimensions des
japonais, ou de ce qu'il a appelé Super Flat. Le concept
de superflat visait à caractériser l'art japonais
par une absence de profondeur. Celle-ci définit, en
effet, la perception et la représentation de l'espace
dans la peinture orientale, qui ignore le système perspectif
et ramène toute la composition à la surface
plane de la feuille.
Le
retour aux arts décoratifs
Murakami
explique que " l'art japonais n'a jamais fait clairement
la distinction entre la peinture et l'artisanat ". Néanmoins,
la relation intime entre peinture et artisanat a été
réprimée dans l'histoire de l'art après
que l'idée occidentale des "beaux-arts" ait
été importée par la Restauration Meiji.
" J'espère sincèrement que les arts décoratifs
vont se libérer de cette infériorité
vis-à-vis des beaux-arts et réaffirmer leur
place dans le monde des créations artistiques ".
L'artiste rejoint ainsi un aspect essentiel de l'art japonais
traditionnel : le goût du décoratif qui répond
à une célébration de la vie et à
la prise de conscience de la fugacité des choses. Souvent
développées en polyptiques, les toiles de Murakami
évoquent formellement les peintures anciennes de paravents.
C'est en écho à cette perspective que s'inscrivent
ses peintures de fleurs : guirlandes de marguerites au graphisme
enfantin et au sourire moqueur, comme dans l'oeuvre intitulée
"Cosmos". Très éloignées d'une
représentation réaliste, ces fleurs sont nées
d'un désir de créer un "motif de peinture
japonaise". Alors qu'il étudiait la peinture traditionnelle,
Murakami est fasciné par les sujets classiques "neige,
lune, fleur" ou encore "fleur, oiseau, vent, lune".
Les fleurs lui sont apparues comme la façon de comprendre
les canons de la peinture japonaise et d'en proposer une interprétation
personnelle et contemporaine.
Aux motifs de fleurs, l'artiste
associe souvent les personnages Kaikai et Kiki, deux petits
monstres, plus sympathiques qu'effrayants, nés d'un
jeu de mots : Kaikai Kiki ("élégant")
ou Kiki Kaikai ("surnaturel et bizarre").
Ses
références à Andy Warhol - Modernisation
des processus de création, de production
Enfant
du pop art, Murakami se réfère souvent à
Warhol, jusqu'à baptiser en 1995, ses ateliers de production
de Tokyo et Brooklyn, la Hiropon Factory en écho à
la Factory warholienne. Murakami ne travaille pas de manière
solitaire, mais s'est au contraire entouré d'une trentaine
d'assistants qui ont chacun une spécialité (dessinateurs
sur ordinateurs, mélangeurs de couleurs, peintres,
modeleurs, sculpteurs, maquetistes, etc...). Murakami publie
même la "Hiropon Factory Newsletter", comme
un fanzine, pour étendre l'identité de sa marque.
En 2001, la Hiropon Factory devient la Kaikai Kiki Corporation.
Avec la montée en puissance de ses équipes de
Asaka et de New York, Murakami va également faire évoluer
le processus de production. Ses premières oeuvres sont
des acryliques peintes à la main, mais au moment de
la création de "Cosmos" en 1998 Murakami
passe à la technique de la sérigraphie pour
gagner en productivité.
Le processus de création a également évolué
à l'aide de l'introduction de l'informatique puisque
l'ensemble des "motifs murakamiens" comme les fleurs
riantes, les yeux, les champignons ont été numérisés
et organisés en base de données.
L'équipe de Takashi Murakami s'est tellement agrandie
qu'il faut plus parler de véritable studio - à
la manière d'un studio de création de dessins
animés - que d'une communauté d'artistes. Lors
de l'exposition qui s'est tenue en 2001 au MOT (Musée
d'Art Contemporain de Tokyo) on comptait pas loin de 50 personnes
entre le studio d'Asaka et celui de New York, avec des activités
allant de la peinture, le design numérique, le modelage,
les sculptures de grande taille, les ballons gonflables aux
activités telles que l'emballage et l'expédition,
le management, la publicité, la création de
site web...
A
travers ses oeuvres et le système de production qu'il
a instauré, Takashi Murakami propose une redéfinition
de l'art contemporain dans son rapport au marché et
à la consommation. A première vue ludique, son
oeuvre porte également un regard critique sur la société
et la créativité du Japon contemporain. Elle
reflète et interroge à la fois les nouveaux
standards visuels et la situation de la culture japonaise,
entre tradition et référence occidentale, technologie
et consommation. Elle incarne la nouvelle création
artistique au Japon dans son exubérance et sa fantaisie.
  
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