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I. Evolution du cinéma japonnais
Le cinéma japonais présente
aujourd'hui un double visage, avec, d'un côté,
le formidable essor des industries de l'image (télévision
haute définition, vidéodisques) les firmes
nippones prennent des parts dans les grands studios hollywoodiens,
ou les rachètent, afin de contrôler toute la
chaîne (production, catalogue de droits) devant alimenter
leurs produits , et, de l'autre, une certaine permanence
du cinéma d'auteur, illustrée par la figure
d'Akira Kurosawa, véritable légende vivante,
dont la carrière dure depuis cinquante années.
Mais le fait que Kurosawa doive faire appel à des capitaux
étrangers (notamment américains, pour Rêves
, en 1989) dit assez l'état d'abandon d'une cinématographie
qui, par le passé, a su conjuguer vitalité économique
et exigence artistique, permettant à des cinéastes
de grand talent comme Kenji Mizoguchi ou Yasujiro Ozu de poursuivre
leur uvre à l'intérieur des studios.
:: Tradition théâtrale
et système des studios ::
Le
cinéma arrive tôt au Japon (Edison en 1896; les
films Lumière en 1897), et c'est dans les formes du
théâtre classique (nô, kabuki) que les
premiers cinéastes puisent leur inspiration. Cette
influence théâtrale se fait sentir dans le jeu
des acteurs jusqu'en 1918, dans la tradition du kabuki,
les rôles féminins sont tenus par des hommes
et, tout au long de la période du muet, dans
l'accompagnement des films: à la différence
des cinémas occidentaux (accompagnement au piano ou
avec l'orchestre), le cinéma japonais, dans le sillage
du théâtre de marionnettes (bunraku), a recours
à des conteurs professionnels (benshi), bonimenteurs
qui miment les dialogues et brodent sur l'histoire racontée
par le film. Lors de l'arrivée du parlant, ces populaires
benshi organisent des manifestations violentes contre les
cinéastes ayant abandonné le muet et
contre les salles qui diffusent leurs films , ce qui
provoque un certain retard de la production japonaise dans
ce domaine.
:: Tokyo et Kyoto ::
L'industrie
cinématographique nippone se construit sur le modèle
hollywoodien, avec la création de la Nikkatsu, en 1912,
et de la Shochiku, en 1920. Les deux principaux centres de
production sont alors Tokyo spécialisé
dans le genre Gendai-geki, films dont l'histoire se déroule
après 1868, soit après le début de l'ère
Meiji et Kyoto, ancienne capitale et ville-musée
spécialisée dans le Jidai-geki, genre
historique (films de samouraïs notamment) abandonné
dans le cinéma contemporain, les films de Kurosawa
(Kagemusha, 1980; Ran, 1985) constituant l'exception qui confirme
la règle. Le cinéma japonais des années
1920 est influencé par le cinéma américain
(burlesque et films d'action en particulier) et par le nouveau
théâtre réaliste, le Shin-geki, inspiré
de l'Occident (Strindberg). De cette double influence naît
le genre Shomin-geki (comédies populaires ou drames
des petites gens), auquel des auteurs comme Heinosuke Gosho
(le Fardeau de la vie, 1935) ou Mikio Naruse (Nuages flottants,
1955) resteront toujours attachés, sans oublier Yasujiro
Ozu, dont l'uvre entière, jusqu'aux derniers
films (Voyage à Tokyo , 1953; Fin d'automne, 1960),
brode invariablement autour des mêmes thèmes
familiaux (la solitude à l'approche de la mort; un
mariage arrangé), avec une absolue simplicité
dans l'expression de l'émotion.
:: Du divertissement au réalisme
::
La crise économique de 1929, peu après l'avènement
de l'empereur Hirohito, produit un écho contradictoire
sur les écrans, suscitant, d'une part, le déploiement
des films de genre et d'évasion (histoires de samouraïs)
et, de l'autre, celui des films réalistes avec
la contribution remarquable de Kenji Mizoguchi (Surs
de Gion, 1936). La guerre déclenchée en 1937
contre la Chine fait du cinéma, comme en Allemagne,
l'outil privilégié de la propagande nationaliste
(films militaristes et d'espionnage); la loi japonaise sur
la censure, instaurée en 1939, est directement calquée
sur celle du IIIe Reich. Pour échapper à cette
voie, certains cinéastes se réfugient dans les
films historiques (les Quarante-Sept Ronin de Mizoguchi, 1941-1942,
en deux parties), alors que le jeune Kurosawa, qui débute
à l'époque de la guerre, réalise quelques
films de commande (le Plus Beau, 1944).
:: L'âge d'or des années
1950 ::
Après
la défaite, l'épuration envisagée dans
les milieux cinématographiques est bientôt abandonnée,
de crainte d'affaiblir l'industrie. L'Amérique dicte
sa loi (censure, sujets interdits) et envahit le marché
de sa production. Cette situation provoque en retour un réflexe
identitaire qui sera bénéfique pour le cinéma
national, lequel connaît dans l'immédiat après-guerre
un véritable âge d'or économique
avec plus de 500 films par an, le Japon devient le plus gros
producteur de films au monde, avant les États-Unis
et artistique. Le cinéma de genre populaire
s'enrichit de films fantastiques (histoires de fantômes
inspirées de la littérature et du théâtre
nô, et films de monstres, tel le fameux Godzilla d'Inoshiro
Honda, 1954), de films avec duels au sabre (chambara), de
films de gangsters et de films érotiques. C'est à
cette époque que le cinéma japonais, via Kurosawa
et Mizoguchi, et grâce aux festivals de Cannes, de Venise
et de Berlin, accède à la reconnaissance internationale.
Mizoguchi réalise alors ses plus beaux films (la Vie
d'O'Haru, femme galante , 1952; les Contes de la lune vague
après la pluie, 1953; l'Intendant Sansho, 1954), peintures
sans concession de l'enfer social, dans le monde féodal
comme dans le monde contemporain, et dont la femme (interprétée
par l'inoubliable Kinuyo Tanaka) est à la fois l'enjeu
et la victime. Pour sa part, Kurosawa surprend par la diversité
de son inspiration et de son style, passant de l'influence
néoréaliste (Vivre, 1952) au film d'action (les
Sept Samouraïs, 1954), et adaptant les grands écrivains
occidentaux (Shakespeare, Dostoïevski).
:: La relève des indépendants
::
En 1960, on dénombre plus d'un milliard d'entrées,
pour une production de 547 films; mais la fréquentation
des salles a déjà chuté de moitié
en 1963, avant de se stabiliser, en 1972, autour de 180 millions
d'entrées. Contrairement à Hollywood, l'industrie
japonaise du cinéma ne saura pas empêcher le
détournement massif du public des salles vers le petit
écran. Néanmoins, la crise des studios favorisera
l'émergence d'une nouvelle génération
de cinéastes: alors qu'en 1960 deux films seulement
sur 547 sont des productions indépendantes,
en 1965 il y en a 219.
L'emblème
de cette génération en rupture avec le système,
contemporaine de la Nouvelle Vague française, est certainement
Nagisa Oshima: très politisé (Nuit et Brouillard
au Japon, 1960; le Petit Garçon, 1969), proche de l'extrême
gauche, il n'hésite pas à traiter du sexe, véritable
tabou, dans les Plaisirs de la chair (1965) et dans l'Empire
des sens (1976), coproduction franco-japonaise qui vaudra
au cinéaste de multiples procès dans son pays,
et la reconnaissance internationale. La «nouvelle vague»
japonaise est illustrée également par Kiju Yoshida
(Éros + massacre, 1969) et par Shohei Imamura, l'auteur
de la superbe Ballade de Narayama (1983), primée à
Cannes, et de Pluie noire (1989, sur le désastre d'Hiroshima).
Mais les productions indépendantes avaient commencé
à décliner au Japon dès le début
des années 1970. Aujourd'hui, Oshima et Kurosawa doivent
faire appel à des coproductions, voire à des
productions étrangères, et, malgré quelques
éclairs récents (Mitsuo Yanagimachi), le cinéma
apparaît en plein désarroi dans un pays où
le développement de la télévision, contrairement
à la Grande-Bretagne ou à la France, n'a pas
contribué au renouvellement de la création.
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